Synthèse ASTREDHOR 2024 - La stimulation mécanique des plantes

Maîtrise de la croissance des plantes par stimulation mécanique : la thigmomorphogénèse

Afin de rendre les systèmes de production plus respectueux de l’environnement, et de diminuer les risques sur la santé humaine, la filière horticole s’intéresse à la mise en application d’une alternative aux régulateurs de croissance : la stimulation mécanique (aussi appelée la thigmomorphogénèse). Ce dossier filière vous présente en 3 parties les travaux et résultats obtenus sur cette technique novatrice.

  • La thigmomorphogénèse comme alternative aux régulateurs de croissance,
  • Le transfert de la technique en entreprise,
  • Les perspectives de recherche.

La thigmomorphogénèse comme alternative aux régulateurs de croissance

Contexte réglementaire

Les régulateurs de croissances sont utilisés en horticulture ornementale pour conserver la compacité des plantes dans le but de répondre aux exigences du marché (esthétisme, facilité de transport et de mise en rayon).

Ces produits sont l’une des deux principales causes d’utilisation de produits phytopharmaceutiques de synthèse en horticulture. Les produits anti-gibérellines (paclobutrazol, daminozide) et les générateurs d’éthylènes (éthephon) sont les deux familles chimiques encore autorisées sur le marché (7 produits en 2024). D’après les chiffres collectés par MPS (label qui aide les entreprises à prendre des mesures pour réduire leur empreinte environnementale), sur 136 entreprises horticoles, 58% ont utilisé au moins une fois un régulateur de croissance en 2018 (Dorion, 2019). Parmi les substances actives utilisées, le paclobutrazol, classé SHG09/H400, est toxique pour les organismes aquatiques. La toxicité suspectée du daminozide impose une restriction du temps de traitement à 1h pour l’opérateur. De même, le temps de travail sur les surfaces traitées doit être limité à 3h/jour.

Afin de rendre les systèmes de production plus respectueux de l’environnement, et de diminuer les risques sur la santé humaine, la filière horticole s’intéresse à la mise en application d’une alternative aux régulateurs de croissance : la stimulation mécanique.

Thigmomorphogénèse : définition

La thigmomorphogénèse signifie "formation de l'architecture des plantes par le toucher".

Stimuler en pliant de manière répétitive l’apex d'une plante inhibe sa croissance apicale, (réduction de 10 à 25% de la taille selon l’espèce) et augmente sa ramification. Le port de la plante se retrouve ainsi modifié sans produit de synthèse et sa qualité commerciale améliorée.

Dipladenia stimulés mécaniquement (gauche) et plantes témoins sans stimulation (droite)

Une technique respectueuse… et aussi économique

La technique présente l’avantage de réduire le temps de main d’œuvre avec un investissement en matériel limité. 

Exemple : le cas des chrysanthèmes

Avec 20 millions de pots produits par an, la culture de chrysanthème est consommatrice de régulateurs de croissance. Dans les systèmes de culture où les producteurs arrivent à mettre en place des leviers pour limiter les insecticides, un IFT (Indice de Fréquence de Traitement) résiduel de 3, correspondant à 2 à 3 pulvérisations de régulateurs de croissance sur la culture, est souvent observé.  

Avec la stimulation mécanique, il est possible de s’affranchir de ces produits avec une économie de l’ordre de 650 €/ha par passage de régulateur (daminozide à 5 g/l), auquel il faut ajouter 100€/ha de main d’œuvre. Avec trois applications en moins, une économie de l’ordre de 2000 €/ha peut être faite.  Sur dipladénia, le gain est encore plus important avec une économie de 5 passages de régulateurs (daminozide 3g/l) soit une économie de 3112 €/ha.

La mise en œuvre de la technique

Stimulation mécanique : le choix du matériau

Plusieurs moyens existent pour stimuler les plantes et le matériau à utiliser est fonction de la culture. Le flux d’air peut suffire pour les jeunes plants. Une barre rigide ou un plastique épais (type EPDM) peut être utilisé pour les végétaux les plus fermes, tels que le rosier ou le pin. Cependant, la méthode qui apporte la plus grande homogénéité est la stimulation avec des bâches. Une bâche plastique simple ou doublée (2 épaisseurs de bâche de 200 μm pour le pétunia par exemple), avec des franges (pour englober le porte boule de la plante), ou une traine (pour augmenter le temps de contact) en fonction des itinéraires de culture.  Ce qui importe réside plutôt dans la courbure de l’apex plus que sur la force de stimulation du matériel utilisé. Il est également possible de recycler du matériel d’irrigation comme des capillaires pour faire des lanières.

Stimulation mécanique : réglage du stress appliqué

Afin d’éviter les amalgames entre « passages », « stimulations », « allers-retours » etc. la définition d’une « unité » de mesure de l’intensité du stress appliqué est proposée par la formule suivante :

 Intensité = fréquence journalière de passage x nombre d’allers-retours par passage.

Les travaux ASTREDHOR ont montré que :

  • En raison d’une réceptivité accrue des plantes, le matin semble être le moment le plus propice pour réaliser les stimulations. La stimulation de nuit a également été testée en culture de chrysanthème avec des résultats équivalents ce qui facilite le travail des salariés en journée.

  • Le fractionnement des stimulations est plus efficace. Par exemple, pour une espèce nécessitant 12 stimulations par jour, il est préférable de réaliser 6 allers-retours à 1 ou 2 heures d’intervalle que 12 passages à la suite à un seul moment de la journée.

  • Une fréquence de 10 Allers-Retours/jour semble un bon compromis entre l’effet obtenu sur la plante, sur les ravageurs, pour lesquels les passages doivent être plus fréquents, et l’usure du matériel.

  • Idéalement le stress commencera à être appliqué juste après l’enracinement de la plante et il sera arrêté à la formation du bouton floral, par appréhension de le casser, bien que ce phénomène soit rarement observé. L’effet est proportionnel à la durée de stimulation. Si on arrête trop tôt, la croissance de la plante reprend rapidement. Il faut environ 3 semaines à 1 mois pour voir les premiers effets sur la plante.

  • Attention toutefois à ne pas trop stimuler la plante car un phénomène de désensibilisation des végétaux est possible. En effet, des chercheurs de l’INRAE de Clermont Ferrand ont identifié des phénomènes d’accommodation des plantes aux signaux répétés. Ils se manifestent par des réponses réduites aux flexions lorsqu’elles sont répétées à une échelle journalière.

  • C’est au stade bouture que la technique révèle tout son potentiel, notamment en permettant d’obtenir des plantes qui seront plus ramifiées avec des entre-nœuds d’assise courts. En revanche, si les plantes ne sont pas stimulées dans leur phase finale de production, le gain de la technique sur la compacité est perdu. Les plantes stimulées sur la dernière phase de culture, lors de la croissance végétative sont toujours plus compactes, plus ramifiées et plus homogènes pour une meilleure qualité commerciale.

Stimulation mécanique : des végétaux plus ou moins sensibles

Les essais ASTREDHOR ont montré que l’intensité à appliquer doit être adaptée aux végétaux. Tous ne réagissent pas de la même façon. Plus les végétaux sont poussants et plus leur réponse à la stimulation mécanique va être marquée. Les plantes issues de génétiques compactes seront moins affectées.

  • L’intérêt se porte surtout sur les cultures longues d’au moins deux mois, comme les chrysanthèmes. Appliquée sur un ensemble de variétés à la vigueur variée, la stimulation mécanique va permettre d’homogénéiser la croissance de l’ensemble de la culture.

  • L’effet sur plantes ligneuses dépend du mode de croissance de la plante. Par exemple, le perovskia qui a une forte croissance verticale continue avec une dominance apicale importante est plus susceptible de répondre à ce type de stimulation mécanique.

  • Sur des plantes comme le dipladénia, le nombre et la taille des lianes sont réduites.

  • Sur des plantes comme l’hydrangea et le photinia, c’est plutôt la croissance de l’ensemble des rameaux qui est plus homogène et la qualité commerciale s’en trouve améliorée.

La croissance des plantes est aussi à mettre en lien avec l’itinéraire de culture : conduite climatique, nature et fréquence de l’arrosage.

En serre les plantes conduites à chaud et irriguée en sub-irrigation fertilisante ont une pousse plus active que celles cultivées dans un tunnel en condition froide. La stimulation en serre chaude va permettre à la fois de réduire la hauteur des plantes mais également d’obtenir des plantes avec un port plus droit. La stimulation mécanique est donc un outil complémentaire dans la conduite culturale. D’ailleurs la conduite en stress hydrique est un autre levier pour réguler la hauteur des plantes. Des essais en culture de chrysanthème ont montrés que ces deux leviers étaient plutôt complémentaires.

Le transfert de la technique en entreprise

Création d’un nouveau chariot : C@SPER, le Chariot Automatisé de Stimulation et de Piégeage Ergonomique

La généralisation de la méthode à un plus grand nombre d’exploitations a d’abord été freinée par l’absence d’un outil adapté pour mettre en œuvre cette technique. En 2018, C@SPER, le Chariot Automatisé de Stimulation et de Piégeage ERgonomique a vu le jour en partenariat avec la société Pyrène Automation. Fin 2019, un nouveau module a été développé avec l’installation d’un système de ventilation pour déloger plus efficacement les insectes et reproduire le phénomène de stimulation par le vent. En 2020, la marque C@SPER a été déposée à l’INPI et une fiche CEPP a été créée.

Des chariots multifonctions

A partir d’un chariot aérien ou terrestre, même déjà installé chez le producteur, il est possible de :

  • Mettre en œuvre divers modes d’arrosage localisé pour économiser l’eau (jets, pinceaux, rideau d’eau, cannes).
  • Embarquer un système de doseur gérant la fertilisation et/ou un système de traitement par pulvérisation pour traiter automatiquement en l’absence de personnel et ainsi préserver la santé des opérateurs.
  • Intégrer des ventilateurs. Le séchage du feuillage réduit le risque d’apparition de maladies foliaires.
  • Déloger le insectes ailés grâce à la stimulation.
  • Piéger massivement les insectes ravageurs ailés en accrochant des bandes engluées.

Robot C@SPER multifonctions - bande engluée jaune pour piéger les insectes ravageurs

Les perspectives de recherche

Le retour des entreprises utilisant la thigmomorphogénèse montre que la stimulation mécanique est une technique transférable aux producteurs, avec des résultats visibles très rapidement. Les travaux de recherche doivent se poursuivre aujourd’hui afin d’augmenter les références, l’objectif étant d’adapter au mieux les matériaux et les fréquences de passage utilisés en fonction des espèces.
Un des effets secondaires notable de la technique est de permettre de limiter l’installation de certains insectes ailés sur les cultures (aleurodes, pucerons, thrips). Le module de stimulation est d’ailleurs le plus souvent couplé à un système de piégeage de masse par bande engluée.

De même, la recherche se poursuit pour développer l’automate C@SPER. De nouvelles options sont étudiées, comme :

  • L’intégration d’un système de caméra embarqué pour compter les insectes piégés,
  • L’utilisation d’un système d’aspiration pour lutter contre les ravageurs ailés,
  • L’intégration de rampes de LED pour utiliser des méthodes complémentaires de contrôle de la croissance et des bioagresseurs.

Travaux ASTREDHOR sur la thigmomorphogénèse :

  • ARIAGE (2013-2015) : Sur le modèle le rosier buisson, l'hérédité de l'architecture de la plante a été analysée et l'effet de trois techniques culturales, alternatives aux régulateurs de croissance, sur l'architecture de la plante ont été évalués.

  • THIGMO (2014-2022) : Etude de l’impact de la thigmomorphogenèse en combinaison avec le stress hydrique et évaluation de l’effet de la stimulation par ventilation sur le développement de maladie du feuillage en conditions automnales humides.

  • THIGM’AURA (2020) : Evaluation de la mise en place de la thigmomorphogenèse sur la gestion de la croissance des végétaux pour la production de plants correspondant aux standards de qualité du secteur.

  • HORTIPOT II (2018-2023) : Mise au point d’itinéraires culturaux innovants pour réduire l’utilisation de produits phytosanitaires en production de plantes en pots, hors sol et sous abri

  • IRRADIANCE (2018-2021) : Mise au point d'un système innovant de production de plantes horticoles

Rédaction : Emilie Maugin & Laure Dreux, ASTREDHOR.

Cette synthèse a été rédigée pour le portail EcophytoPIC (Dossier Filière Horticulture N°2 - Décembre 2024), disponible ICI

Mots clés :

CONTROLE DE LA CROISSANCE, EQUIPEMENT, PLANTE EN POT, TECHNIQUE REGULATRICE, THIGMOMORPHOGENESE

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